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Avec
le Pr Théodore MONOD et la Maison de Vigilance, à TAVERNY
 Théodore MONOD 1902 - 2000
Théodore MONOD 1902 - 2000
Professeur honoraire au Muséum d'Histoire Naturelle Membre de l'Académie des
Sciences Humaniste, pacifiste, adepte de la non-violence. - " La
non-violence est, avant tout, une méthode active de résistance au mal, à
l'injustice, à la guerre et à sa préparation. "
Je connaissais
depuis longtemps Théodore MONOD par ce qu'en disaient les média. J'aimais bien
ce savant, humaniste, zoologue, botaniste, géologue, arpenteur de désert, assez
fou pour faire des centaines de kilomètres à pied à la recherche d'une fleur,
assez sage pour savoir que la vraie fleur s'appelle "amour" et pousse au coeur
des hommes.

J'ai rencontré Théodore MONOD à la "Maison de Vigilance" de
Taverny, près de Paris. Chaque année au mois d'août, un groupe de non-violents
s'y réunissait pour rendre hommage aux victimes d'Hiroshima et jeûner en
protestation contre la dissuasion nucléaire. A plusieurs reprises, je me suis
joint à eux, comme citoyen et comme chanteur. Un jour, les gendarmes de Taverny ont
contrôlé mes papiers ; je leur disais : "N'ayez crainte. Les non-violents, nous
ne mentons jamais et n'agressons personne. La violence est du côté de la
bombe atomique et nous la combattons." Par radio, ils interrogeaient
l'ordinateur central qui répondait que j'étais blanc comme neige. "Je vous
l'avais bien dit!" ajoutai-je en souriant. Eux ne riaient pas : "Que
venez-vous faire ici?" - "Je viens protester contre la dissuasion nucléaire." - "Allez!
Circulez!" Et je circulais, en me rendant à pied aux portes du camp militaire
pour continuer ma/notre protestation pacifique. Lorsque les non-violents de
Taverny défilaient, ils portaient des pancartes. Celle de Théodore indiquait : "La
préparation d'un crime est déjà un crime." En 1997, Théodore jeûnait
toujours, malgré ses 95 ans, et continuait de rencontrer les chefs militaires
pour leur dire sa désapprobation. Pendant les moments de repos, il était souvent
couché, pour économiser ses forces. Lorsqu'il se relevait nous l'entourions tous
de nos soins car chacun de nous l'aimait. Il avait du mal à entendre et ne
voyait presque plus. Sa démarche n'était plus très sûre, lui qui avait si
souvent arpenté le désert du Sahara. Un jour, je le vis s'efforcer de se lever
puis chanceler. Il allait tomber. Par chance, j'étais derrière lui : je glissai
aussitôt mes mains sous ses aisselles et lui servis de béquille vivante. Il
retrouva son équilibre, se redressa, esquissa un mouvement de rotation pour me
remercier mais y renonça par crainte de tomber. Il n'a donc pas vu qui le
soutenait et c'était bien ainsi : j'avais envie de l'aider au nom
de l'amour que nous lui portions tous. Lorsqu'il le pouvait, Théodore se joignait
à nous et nous faisions cercle autour de lui. Ses paroles étaient rares mais
sages, profondes, précieuses. Je lui parlai de Mgr Jacques GAILLOT que
j'avais rencontré dans son évêché d'Evreux. Il sourit : "GAILLOT a du caractère.
Et... ce qu'il dit est souvent pertinent." - "Voire impertinent!", ajoutai-je. Théodore
réfléchissait en souriant.
Pour le taquiner un peu, je demandai : "Théodore, pourquoi avez-vous
ce petit sourire sardonique lorsque vous pensez à GAILLOT?" Il sourit encore :
"Non, non! Pas sardonique! Je l'aime bien."
Théodore avait le génie de la
formule : courte, précise, forte, profonde. Un diamant qu'il nous offrait dans
la discrétion. Assis à ses côtés, je ne perdais pas une syllabe. Tandis que nous
jeûnions ensemble, je lui demandai : "Théodore, vous jeûnez ainsi depuis 15 ans
mais cela ne semble pas troubler les hommes politiques ni les chefs militaires.
Vous n'en êtes pas trop déçu?". Il m'offrit une réponse magnifique : "Je ne me
pose pas la question en ces termes. Je sais seulement que je n'ai pas le droit
de ne pas le faire. Le seul tribunal à satisfaire, c'est la conscience."
Je lui dis aussi : "J'aime que nous soyons tous
rassemblés ici. Tous d'âges différents, de régions différentes, mais unis dans
le même engagement." Théodore me répondit : "Oui. C'est beau. Mais il y manque
quelques chansons que nous partagerions... La non-violence, c'est aussi la
joie." Je me promis de revenir avec ma guitare et de chanter pour lui.

 1997
- Théodore MONOD et Georges-Guy LOUVET à TAVERNY
Un ami vint nous
photographier. Théodore, malicieux, tourna sa canne blanche
vers l'objectif : sur la face antérieure de la canne, un magnifique "Peace and
Love" cuivré ou doré, que Théodore appelait en français "le signe de la non-violence".
 Amadou
Hampaté Ba 1901-1991
J'aimais
m'asseoir à côté de Théodore. Je lançais la conversation par une
petite question d'apparence innocente, puis j'écoutais les magnifiques
réponses de Théodore. Un jour, je lui demandai : "Théodore,
vous arrive-t-il de repenser à l'Afrique, après tant d'années?"
Et Théodore se mit à évoquer ses souvenirs, ses amis africains
en des termes fraternels et affectueux. Il me parla avec beaucoup
d'émotion d'Amadou Hampaté Ba, son ami très cher disparu quelques
années plus tôt. Il ajouta : "Il faut absolument lire son
livre 'Vie et enseignement de Tierno Bokar - Le sage de Bandiagara'.
Il prononçait ces noms africains avec une sorte de nostalgie
douloureuse, comme un désire de revivre le passé avec ses amis d'Afrique.
J'eus soudain une impression étrange : nous étions seuls tous les
deux et il me parlait à voix très basse et faible, et je sentais
plus qu'une confidence ou un conseil... C'était comme une sorte
de testament spirituel, comme si Théodore me disait : je compte
sur vous pour que ne s'efface pas le souvenir de ce que nous avons
vécu, pour que ne se perde pas l'héritage d'Amadou Hampaté Ba et
Tierno Bokar. De retour chez moi, j'achetai le livre et y découvris
des perles de sagesse. Oui, Tierno Bokar était bien "le sage
de Bandiagara". Ecoutons sa voix : - "Lorsque
quelqu'un t'irritera, dis-toi : "Malgré son âge, cette personne
agit comme mon enfant de trois ans." Sois indulgente. Tu le
peux." - "L'Amour. Il n'avait que
ce mot sur les lèvres. Tierno avait épousé "Dame Charité".
Que l'on supprime de son enseignement les mots "Amour"
et "Charité" et sa parole s'en trouve décharnée."
- "Notre grand maître, le Cheikh Ahmed Tidjani,
avait recommandé à ses grands élèves : "Si vous êtes calomniés,
ne calomniez pas. Si vous recevez des coups, ne les rendez pas."
A la lecture de ces pages, je compris pourquoi Théodore
m'en avait conseillé la lecture : il y retrouvait la non-violence
à laquelle nous étions tous attachés, et cette joie profonde de
sentir qu'Européens et Africains peuvent être porteurs des mêmes
valeurs d'Amour.
Le
soir, à Taverny, nous écoutions de la musique. Nous étions tous rassemblés en arc de
cercle, autour de Théodore MONOD et Solange FERNEX, dans le plus grand respect de la musique et des compagnons présents. Pas
un bruit. Nous écoutions le "Requiem" de MOZART. Je sentais bien que ce requiem
était lourd de sens et de présages. Nous le sentions tous. Deux ans plus tard, en 1999, je
retrouvai Théodore et tous nos amis à Taverny. J'avais apporté mon matériel de
musicien et j'eus l'honneur de donner mon récital "La Force d'Aimer" en présence de Théodore.
Une grande émotion. Ce fut aussi l'occasion d'exposer ma conception de l'éducation
non-violente. Théodore écoutait, très attentif, et je le voyais
hocher la tête pour exprimer son accord. Après mon intervention,
il me dit qu'il m'avait trouvé "très intéressant"
et, venant de lui, je ne pouvais rien espérer de plus agréable. Hélas,
je ne devais plus revoir notre ami Théodore : il nous quittait l'année
suivante. Ce fut pour moi un grand chagrin car nous lui devons
beaucoup. Merci, Théodore. Nous nous efforçons de marcher modestement sur vos
traces. Nous n'avons pas le droit de ne pas le faire.


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LOUVET. Tous droits réservés.
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